L'OEIL DU CERCLE N°141 - JEUDI 21 MARS 2024  
 
 
OUF c’est le Printemps !
 
 
 
 
 
la fabrique du droit
L’Union européenne adopte une loi sur l’intelligence artificielle
 

A contrecourant de la pression exercée par les lobbyistes, les eurodéputés ont approuvé le projet de loi européen de régulation de l’intelligence artificielle, qui protège notamment le droit d’auteur, et prévient la manipulation de l’opinion par les deep fakes. Le projet de loi avait été présenté par la Commission européenne en avril 2021. L’apparition fin 2022 de ChatGPT lui avait donné une nouvelle dimension. La législation prévoit une approche à deux niveaux. Les modèles d’IA à « usage général » se verront appliquer un premier régime de transparence. Les systèmes considérés comme à « haut risque », tels que ceux utilisés dans les infrastructures critiques ou régaliennes, seront soumis à des exigences plus strictes et devront, notamment, prévoir la mise en place d’une analyse d’impact obligatoire sur les droits fondamentaux. Les images, textes ou vidéos générés artificiellement devront être clairement identifiés comme tels. Par ailleurs, le texte interdit d’utiliser la notation sociale et l’intelligence artificielle pour manipuler les utilisateurs ou exploiter leurs vulnérabilités.

 
CS3D : adoption d’un texte de compromis de la directive sur le devoir de vigilance
 

Le Comité des représentants permanents (COREPER) du Conseil de l’UE a approuvé un nouveau texte de compromis sur la Corporate Sustainability Due Diligence Directive (CS3D), qui impose aux entreprises visées de prendre les mesures nécessaires pour limiter les risques d’impacts négatifs environnementaux et sociaux à travers leur chaîne de valeur. Pour rappel, une autre version du texte avait frôlé l’adoption formelle par le Parlement et le Conseil à la suite d’un accord provisoire arrêté par les institutions le 14 décembre 2023. La nouvelle mouture revoit notamment les seuils d’application à la hausse : seraient concernées les entreprises européennes de plus de 1 000 salariés (au lieu de 500) réalisant un chiffre d’affaires mondial net de plus de 450 millions d’euros (au lieu de 150 millions d’euros) ainsi que les entreprises des pays tiers réalisant un chiffre d’affaires net dans l’Union européenne de plus de 450 millions d’euros.

 
Media Freedom Act : le Parlement UE adopte une loi sur la liberté des médias
 

La loi sur la liberté des médias adoptée par le Parlement UE  obligera les gouvernements de l’UE à mieux protéger les médias contre les interférences malveillantes et à limiter l’utilisation de logiciels espions contre les journalistes. Ainsi il sera interdit aux autorités de faire pression sur les journalistes et les rédacteurs en chef pour qu’ils révèlent leurs sources, par exemple en les plaçant en détention, en perquisitionnant leurs bureaux ou en installant des logiciels de surveillance intrusifs sur leurs appareils électroniques. L’utilisation des logiciels de surveillance ne sera permise qu’au cas par cas et sous réserve de l’autorisation d’une autorité judiciaire. Un Conseil européen des services de médias sera créé pour superviser sa mise en œuvre.

 
 
 
 
La vie des affaires et le droit
Rachat de magasins Casino par Intermarché, Auchan et Carrefour : dérogations accordées pour contrôle des concentrations
 

L'Autorité de la concurrence a délivré des dérogations à l’effet suspensif du contrôle des concentrations à Intermarché, Auchan et Carrefour pour procéder au rachat de 323 magasins du distributeur Casino. L’institution rappelle que de telles dérogations sont possibles lorsque la cible rencontre des difficultés importantes, par exemple financières, qui mettent en péril sa viabilité. A l’issue de l’enquête, et en cas de trop grand impact sur la concurrence, l’Autorité pourra imposer des cessions de magasins à d’autres enseignes concurrentes, et même annuler l'opération préalablement autorisée à titre exceptionnel. Auchan prévoit de prendre le contrôle de 98 magasins, Intermarché, 225, et Carrefour 25.

 
Les actifs de Danone ne sont plus sous contrôle russe
 

L’été dernier, l'agence fédérale Rossimouchtchestvo chargée de la gestion des biens de l'Etat russe, prenait le contrôle d'actifs de Danone, qui avait fait part de son intention de quitter le marché russe. La Russie s’octroyait ainsi l’usufruit des 12 usines présentes sur son territoire. La semaine dernière Vladimir Poutine a promulgué un décret qui retire les activités de Danone en Russie de la liste des actifs étrangers placés provisoirement sous la gestion de l'Etat. Danone ne va néanmoins pas reprendre la direction de sa filiale russe. Le récent décret ouvrirait en réalité la voie à une cession à un proche du cercle présidentiel russe, pour un montant estimé à 177 millions d'euros. Pour rappel, la Russie a imposé de strictes obligations aux sociétés occidentales qui cherchent à quitter le pays. Elles doivent par exemple vendre leurs actifs russes à un maximum de 50% de leur valeur marchande.

 
 
 
 
Les juges font bouger les lignes
Le Parlement UE conteste devant la justice le dégel de fonds pour la Hongrie
 

En droit de l’UE, un mécanisme lie les paiements des fonds de l’UE au respect par les états membres des droits fondamentaux. Le Parlement considère que la Hongrie ne répond pas au niveau d’indépendance de la justice que prévoit la charte des droits fondamentaux de. En conséquence, le Parlement UE se prépare à poursuivre la Commission UE devant la CJUE pour sa décision controversée de débloquer des milliards d’euros de fonds pour la Hongrie à la fin de l'année dernière. En décembre 2023, la veille d’un sommet crucial consacré au soutien de l’UE à l’Ukraine, la Commission a débloqué 10,2 milliards d’euros de fonds de cohésion de l’UE destinés à la Hongries. Alors qu’une réforme de la justice Hongroise conditionnait le déblocage des fonds litigieux, les députés estiment que la Commission a acheté le vote de la Hongrie, afin que celle-ci s’abstienne d’interférer dans l’ouverture des négociations d'adhésion de l'Ukraine.

 
Une cession de droits de PI à titre gratuit est une donation soumise au monopole notarial
 

Une récente décision de la Cour d’appel de Paris qualifie l’acte de cession de droits de propriété intellectuelle à titre gracieux en donation. Selon l’arrêt, « aucune stipulation du contrat ne permet de conclure qu’il ne s’agirait pas d’une véritable donation, marquée par l’intention purement libérale des parties, aucune contrepartie n’étant clairement évoquée à la charge du cessionnaire ». La décision découle d’une application stricte du code civil, dont des dispositions d’ordre public imposent à l’acte par lequel la donation est formalisée d’être reçu en la forme authentique, à peine de nullité. La cession à titre gratuit des titres de propriété industrielle reste possible, sous réserve de se conformer au régime de la donation. La Cour d’appel précise que rien n’interdit aux personnes morales de procéder à une donation. Que la cession soit gratuite ou formalisée à titre onéreux, elle devra être inscrite au Registre de l’Office Propriété industrielle, à des fins de publication, pour être opposable aux tiers.

 
 
 
 
Les acteurs du droit en mouvement
Brevets : les demandes de dépôts en hausse en 2023
 

Selon les données publiées par l’OEB (Office européen des brevets), les demandes de dépôt ont connu une hausse de 2,9%. L’OEB a reçu 199 275 demandes de brevets en 2023. Cette tendance est portée par le développement des technologies durables. Parmi les cinq premiers pays d'origine des demandes de brevets, un seul est européen: l'Allemagne (+1,4% par rapport à 2022). À l'échelle mondiale, les États-Unis dominent le classement avec plus de 48 000 brevets déposés. La Corée est pour la première fois entrée dans le top cinq, alors que les demandes provenant de Chine ont plus que doublé par rapport à 2018.  Malgré cette tendance générale, la France affiche un recul de 1,5%, avec 10 814 demandes de brevets déposées en 2023, se classe au 6ème rang mondial, et au 7ème rang dans les technologies médicales, où l’innovation est portée par le groupe Sanofi, qui s’inscrit au 12ème rang du classement mondial de l’OEB des entreprises dans ce domaine.

 
 
 
 
le monde change ... digital
Des opérateurs et associations attaquent la décision de la Cnil qui autorise l'hébergement du Health Data Hub par Microsoft Azure
 

La décision de la Cnil d’autoriser pour une durée de 3 ans l’hébergement des données de santé dans le cloud Azure de Microsoft, prise le 21 décembre 2023, est contestée devant le conseil d’Etat par plusieurs associations et entreprises dont Clever Cloud, Cleyrop, Nexedi, Rapid.Space, l’Open Internet Project, l’Association de défense des libertés constitutionnelles et Bernard Benhamou de l’Institut de la souveraineté numérique. La décision de la Commission s’inscrit dans le programme européen baptisé EMC2, qui poursuit l’objectif de faire avancer la recherche pharmaco-épidémiologique sur les effets à long terme des traitements médicaux. Le recours devant le Conseil d'Etat en référé demande la suspension de la décision et réclame de poser une question préjudicielle à la CJUE. Les requérants rappellent que les deux décisions Schrems I (2015) et II (2020) avaient invalidé le cadre des échanges de données entre la France et les Etats-Unis. Ils estiment que le caractère intrusif et extraterritorial des lois de surveillance américaines, comme la Section 702 du FISA et le décret n°12333 menacent les données des citoyens européens et entreprises françaises. Une première contestation de la décision de la Cnil a été déposée par l’Internet Society France en février 2024.

 
Droits voisins : l’Autorité prononce une sanction de 250 millions d’euros à l’encontre de Google
 

L’Autorité de la concurrence sanctionne les sociétés Alphabet Inc, Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France à 250 millions d’euros pour ne pas avoir respecté ses engagements pris en 2022 à propos des négociations avec les éditeurs de presse. L’entreprise américaine avait pourtant déjà été condamnée en 2021 à une première amende de 500 millions d’euros, qui avait engendré cet accord avec l’autorité. L'antitrust pointe du doigt Bard, le service d'intelligence artificielle de Google. Le groupe, lui, minimise les manquements. La bataille de la mise en œuvre des droits voisins a commencé en 2019, avec la transposition en France de la directive européenne sur le droit d’auteur. Cette dernière a donné aux éditeurs de presse le droit de négocier une rémunération pour l’utilisation d’extraits de leurs articles et photos sur les plates-formes numériques. A la suite d’une plainte de médias jugeant Google peu coopératif, l’Autorité de la concurrence a, en 2020, enjoint à l’entreprise de négocier de bonne foi, puis lui a infligé la première amende.

 
La Suède inflige une amende de 670 000 euros à Klarna pour violation du RGPD
 

Le spécialiste du paiement fractionné Klarna a été condamné à payer une amende de 7,5 millions de couronnes suédoises (670 000 euros) par une cour d’appel suédoise. La fintech a enfreint le RGPD en ne fournissant pas assez d’informations sur la manière dont elle stocke les données personnelles de ses utilisateurs. Selon la décision, les informations communiquées par la fintech étaient soit floues, soit difficilement accessibles. L’autorité suédoise de protection des données (IMY) avait déjà pointé du doigt ces manquements lors d’une enquête menée en mars 2022. Pour rappel, depuis 2018  les entreprises exerçant au sein de l’UE doivent justifier le traitement des données, et fournir des détails sur la durée de conservation des différentes informations personnelles collectées et traitées.

 
 
 
 
Greendeal
Devoir de vigilance et huile de palme: une holding luxembourgeoise contrainte d’indemniser des plaignants camerounais
 

Depuis l’entrée en vigueur en 2017 du devoir de vigilance, certaines grandes entreprises sont dans l’obligation de prévenir les atteintes graves aux droits humains et à l'environnement chez leurs sous-traitants et fournisseurs étrangers. Pour ne pas avoir produit des documents qui pourraient établir ses liens avec l'entreprise française Bolloré, la holding luxembourgeoise Socfin a été contrainte par la justice française de verser 142 000 euros à des plaignants camerounais. Les victimes sont engagées dans une procédure de plusieurs années contre la société camerounaise de palmeraies Socapalm, qu'ils estiment contrôlée par le groupe Bolloré par l'intermédiaire de Socfin. Selon les plaignants, l'exploitation des terres près de leur lieu de vie les empêche d'accéder à des terrains et lieux de sépulture et pollue les eaux dont ils dépendent. Dès décembre 2022, la cour d'appel de Versailles avait estimé que les activités de la Socapalm étaient « susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux » des demandeurs « et notamment à leur droit à un environnement sain », et avait réclamé la production de documents qui pourraient, selon les plaignants, prouver que la Socapalm est contrôlée par le groupe Bolloré via Socfin, ce qui soumettrait le géant industriel français au devoir de vigilance sur ses activités. Les documents litigieux sont maintenant versés aux débats, de telle sorte que les plaignants vont lancer une action au fond sur le fondement du devoir de vigilance contre Bolloré, Socfin et la Socapalm.

 
 
 
 
Out of the law box
Le podcast « Archi intéressant » du Monde nous emmène direction Marseille et son Vélodrome
 

Les podcasts « Archi intéressant », produits en partenariat avec la Cité de l’architecture et du patrimoine à l’occasion de l’exposition « Il était une fois les stades », présentée du 20 mars au 16 septembre 2024, permettent la (re)découverte auditive de bâtiments à l’architecture remarquable. Pour cet épisode, retour sur le Stade-Vélodrome de Marseille, emblème marseillais en forme de corbeille, au sein duquel les inégalités sociales s’effacent derrière les chants et les banderoles.

 
 
 
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